Le long du précipice, le long de l’abîme, sur le bord même Je fouette mes chevaux avec le fouet, je les éperonne... On dirait que je manque d’air, je bois du vent, j’avale du brouillard Je pressens avec un funeste enthousiasme: Je me perds, je me perds! Un peu plus lentement, chevaux, un peu plus lentement! N’écoutez pas le fouet tendu! Mais on dirait que j’ai eu des chevaux capricieux Et je n’ai pas eu le temps de vivre jusqu’au bout, Je donnerai à boire à mes chevaux Je terminerai mon couplet Je resterai encore au moins un instant sur le bord... Je disparais - L’ouragan me balaie comme un flocon de la paume, Et en traîneau on m’entraînera au galop sur la neige au matin, Passez à un pas moins empressé, mes chevaux Ne serait-ce qu’un peu, vous prolongerez le chemin vers le dernier refuge! Un peu plus lentement, chevaux, un peu plus lentement! Le knout et le fouet ne sont pas vos précepteurs! Mais on dirait que j’ai eu des chevaux capricieux Et je n’ai pas eu le temps de vivre jusqu’au bout, Je donnerai à boire à mes chevaux Je terminerai mon couplet Je resterai encore au moins un instant sur le bord... Nous sommes arrivés à temps: En visite chez le Bon Dieu il n’y a pas de retard Ouais, comment ça que là-bas Les anges chantent avec des voix aussi méchantes? Ou bien c’est la clochette qui s’est engourdie à force de sangloter Ou bien c’est moi qui crie à mes chevaux Pour qu’ils n’emportent pas si vite le traîneau! Un peu plus lentement, chevaux, un peu plus lentement Je vous en supplie, ne vous envolez pas au galop Mais on dirait que j’ai des chevaux capricieux Si je n’ai pas eu le temps de vivre jusqu’au bout. Alors au moins que je chante jusqu’au bout! Je donnerai à boire à mes chevaux, je terminerai mon couplet Je resterai encore au moins un instant sur le bord...
© Bïa Krieger. Traduction, 1977