Quelqu’un a remarqué un fruit pas mûr On a secoué l’arbre, et le fruit est tombé. Voilà la chanson de celui qui n’a pas chanté Et qui n’a pas su qu’il avait une voix. Peut-être que son destin n’a pas marché, Et qu’il a loupé sa chance Et que la corde de sa guitare était mal tendue. Il a commencé timidement par un «do» Mais il n’a pu tenir la note... Son accord n’a pas résonné Et il n’a inspiré personne Le chien aboyait, Le chat attrapait des souris... C’est drôle, pas vrai, c’est drôle! Drôle! Et lui, il blaguait, mais ses blagues tournaient court. Il n’a pas vraiment goûté le vin Ni même trempé vraiment ses lèvres. Il ne faisait qu’engager des disputes Sans assurance, sans se hâter, Comme des gouttelettes de sueur s’échappent des pores Son âme sourdait sous sa peau. Il avait juste commencé le duel au tapis Il avait eu à peine le temps de débuter. Il avait tout juste pu s’orienter dans le jeu Et l’arbitre n’avait pas eu le temps d’ouvrir le compte. Il voulait tout savoir de A à Z Mais il n’a pas vraiment atteint Ni le savoir, ni le fond Il n’a pas creusé jusqu’aux abysses Et celle qui fut l’unique Il n’a pas su vraiment l’aimer. C’est drôle, pas vrai, c’est drôle! C’est drôle! Il se hâtait, mais pas encore assez Et tout ce qu’il n’a pas résolu Il l’a laissé irrésolu. Je ne mens pas d’un iota, d’un iota. Il était le serviteur du style pur. Il lui écrivait des vers sur la neige, Hélas, les neiges fondent. Mais alors la neige tombait encore Et on était libre d’écrire sur la neige. Il saisissait de ses lèvres en pleine course De gros flocons et des grêlons. Mais dans un carrosse d’argent Il n’est pas arrivé jusqu’à elle Le fuyard, l’évadé, l’évadé n’a pas atteint son but. Il n’a pas réussi son vol, sa cavalcade Et son signe zodiacal, le Taureau Lapait la froide voie lactée C’est drôle! pas vrai, c’est drôle! Quand il manque juste quelques secondes Un maillon manquant, Un vol arrêté C’est drôle, pas vrai? Eh bien voilà Ça vous semble drôle, et même à moi. Le cheval en plein galop; l’oiseau en plein vol A qui la faute?
© Michèle Kahn. Traduction, 1977