Pour qu’il n’y ait pas de traces, on a balayé partout Injuriez-moi, couvrez-moi de honte, calomniez-moi! Ma ligne de finish est l’horizon, le ruban d’arrivée, le bout du monde. Je dois être le premier sur l’horizon. Tout le monde n’a pas accepté les conditions du pari. Et on a topé sans enthousiasme. La condition est la suivante: rouler sur la grand-route Et seulement sur la grand-route, sans dévier. J’enroule les miles sur mon cardan, J’avance parallèlement aux fils électriques, Je vois de temps en temps une ombre devant mon moteur, Peut-être un chat noir, ou un homme vêtu de noir. Je sais que souvent on me met les bâtons dans les roues. Je devine en quoi et comment on va me tromper Je sais où on va interrompre ma course en ricanant. Et où on me tendra un câble en travers de la route. Mais l’aiguille du cardan fond à cette vitesse, Un grain de sable, c’est comme une balle, Et j’agrippe mon volant jusqu’à la crampe. Arriver à temps, avant qu’on ait serré les boulons. J’enroule les miles sur mon cardan, Je roule verticalement vers les fils On serre les écrous, vite, Autrement on tendra le câble à la hauteur de mon cou. Le bitume fond, les pneus sont bouillants, J’ai la bouche amère, à l’approche du dénouement. Je romps de ma poitrine nue le câble tendu, Je suis vivant, ôtez vos bandeaux de deuil. Ceux qui m’ont contraint à ce dur pari Ne jouent pas franc jeu, ni dans la dispute, ni dans les calculs Le danger m’enivre, mais quoi qu’on en dise, Je freine dans les virages dangereux. J’enroule les miles autour de mon cardan Je fais fi des câbles, des fils Calmez seulement les perdants Quand j’apparaîtrai à l’horizon. Ma ligne de finish, l’horizon, est toujours aussi lointaine. Je n’ai pas coupé le ruban, mais j’ai liquidé le câble. Le câble ne m’a pas rompu le cou. Mais de derrière les buissons, on me tire dans les pneus. Ce n’est pas l’argent qui m’a attiré dans la course. On m’avait dit: ne laisse pas passer l’instant! Va voir s’il y a une limite, là-bas, au bout de la Terre Et si on peut déplacer l’horizon?! J’enroule les miles sur mon cardan Et je ne me laisserai pas coller une balle dans les pneus Mais mes freins lâchent, c’est la coda Je loupe l’horizon en plein vol.
© Michèle Kahn. Traduction, 1977