Je suis en pleine lumière, livré à tous les yeux. J’ai entrepris la procédure habituelle. Je suis planté devant le micro comme devant des icônes. Non, non, aujourd’hui, je suis comme collé à une embrasure. Et ma tête ne revient pas au micro, Bien sûr, ma voix, tout le monde peut en avoir marre, Je sais bien que si je fais une fausse note Il l’amplifiera impitoyablement. Les feux de la rampe me frappent sous les côtes Les lampes m’éclairent méchamment le visage. Et les projecteurs m’aveuglent sur les côtés J’étouffe, j’étouffe, j’étouffe. Cette bête-là, c’est plus fin qu’une lame, Son oreille est sans reproche, il entend la moindre fausse note Il se moque pas mal que je ne sois pas en forme, Il faut que je chante juste. Aujourd’hui je suis particulièrement enroué, Mais je ne me risque pas à changer de ton Car si je prends la tangente Le micro ne jouera pas les courbes. Les feux de la rampe me frappent sous les côtes Les lampes m’éclairent méchamment le visage. Et les projecteurs m’aveuglent sur les côtés J’étouffe, j’étouffe, j’étouffe. Ce micro sur son cou fin Tourne une tête de serpent. A peine je me tairai qu’il mordra Et je dois chanter jusqu’à en être dingue, jusqu’à en crever. Ne bouge pas, ne remue pas, J’ai vu le dard, tu es un serpent, je le sais, Et je suis comme un charmeur Je ne chante pas, je charme un cobra. Les feux de la rampe me frappent sous les côtes Les lampes m’éclairent méchamment le visage. Et les projecteurs m’aveuglent sur les côtés J’étouffe, j’étouffe, j’étouffe. Il est vorace et avide comme un oisillon Il becquette les sons dans ma bouche Il me collera neuf grammes de plomb dans le front Je ne peux lever les bras, ma guitare m’en empêche. Encore, ça ne finira donc jamais? Ce qu’est mon micro, qui me le dira? Maintenant, il est comme une veilleuse près de mon visage Mais je ne suis pas un saint, et le micro ne luit pas. Les feux de la rampe me frappent sous les côtes Les lampes m’éclairent méchamment le visage. Et les projecteurs m’aveuglent sur les côtés J’étouffe, j’étouffe, j’étouffe. Mes mélodies sont plus simples que des cantiques Mais à peine je déraille Que l’ombre du micro me cingle Les joues comme un fouet.                
© Michèle Kahn. Traduction, 1977