Je galope, mais mon galop est différent, Sur les pierres, dans les flaques, dans la rosée. On dit que je ne suis pas comme tout le monde, Je suis celui qui marche autrement.
               
On m’a fait des plaies sur le dos, Je suis là prés de l’eau fraîche, les flancs battants. Je veux bien courir dans le haras, Mais sans selle et sans bride. Aujourd’hui, je vais devoir lutter. Il y a des courses! Je suis le favori. Je sais que tous misent sur l’ambleur. Mais pas moi - mon jockey grogne, Il m’enfonce les étriers dans les côtes. Aux premiers rangs, les gens montrent leurs dents. Je veux bien courir dans le haras, Mais sans selle et sans bride.
               
Non, il n’y aura pas de montagnes d’or, Je serai le dernier à franchir l’arrivée. Il s’en souviendra, de ses étriers, Je changerai d’allure, je prendrai du retard... Voilà la cloche! Mon jockey est en selle. Il rit, anticipant la victoire. Ah, comme je courrais dans le haras, Sans selle et sans bride! Qu’est-ce qui m’arrive, qu’est-ce que je fais, comment ai-je cette audace? Je cède à mon ennemi Je ne suis pas maître de moi Et je ne peux qu’arriver premier. Que faire? Il ne me reste Qu’à désarçonner mon jockey Et à courir comme si j’étais au haras, Avec une selle, une bride, mais sans lui. Je suis arrivé, et lui traîne derrière, Sur les pierres, dans les flaques, dans la rosée. Pour la première fois, je n’ai pas couru l’amble, J’ai essayé de gagner comme les autres.
© Michèle Kahn. Traduction, 1977