Mon homme noir en costard gris... Il était officier, gérant d’immeuble, ministre. Il cognait sans motif, sans préavis, Changeant de masque tel un clown sinistre. Sourire aux dents, on me brisait les ailes, Mon râle parfois était un long cri, Et figé d’impuissance, de douleur cruelle, Je murmurais: merci de me laisser en vie. Superstitieux, je cherchais un signe, l’annonce Que tout ça finirait, patience, mon gars... Et je fonçais même chez quelque bonze Pour me jurer ensuite: ah non, plus jamais ça! Autour de moi, hystériques les cris: «Il file à Paris comme nous à Tioumen! Quand est-ce qu’on va le chasser de Russie? D est grand temps! Mais nos chefs ont la flemme...» Plein de cancans sur mon salaire, ma datcha: «D doit le fabriquer la nuit, tout son pèze!» Je vous laisse tout et même, si ça vous va, Prenez donc mon cabanon de trois pièces. Et mes amis, poètes de référence, Me tapotaient l’épaule, conseillaient En souriant avec condescendance: Les rimes verbales, ça ne se fait pas, tu sais. Ma veine de patience est rompue cette fois, Et je me mets du coup à tutoyer la mort. Depuis longtemps elle tournait autour de moi, Ne redoutant que ma voix rauque encore. Au jugement je me présenterai, A la question je répondrai sans voile. J’ai mesuré ma vie à la seconde près, Et traîné mon fardeau tant bien que mal. Mais le faux, le sacré, je fais la différence, Je l’ai comprise il y a très longtemps déjà. Et c’est sur un seul chemin, les gars, que j’avance, Car par bonheur on ne m’a pas laissé le choix.
© Henri Abril. Traduction, ?