Le long du précipice, au-dessus du gouffre, au bord, tout au bord, Je cravache mes chevaux, les cingle, les fais galoper. L’air me manque: je bois le vent, j’avale le brouillard... Avec une extase mortelle je sens que je cours à ma perte ! Un peu plus doucement, mes chevaux, un peu plus doux! N’écoutez pas la cravache qui fouaille en sifflant. On m’a fourgué des chevaux bien fous... Je n’ai pas vécu mon temps, je ne vais pas finir mon chant. Je vais les abreuver, Mon couplet l’achever, Un instant je resterai encore au bord... Je suis fichu, l’ouragan comme un fétu va me souffler de sa paume Et l’on m’emmènera dans un traîneau filant sur la neige au matin; Allez donc au pas, doucement, mes chevaux, Rallongez, rien qu’un peu, de mon séjour le chemin. Un peu plus doucement, mes chevaux, un peu plus doux! N’écoutez pas la cravache qui fouaille en sifflant. On m’a fourgué des chevaux bien fous... Je n’ai pas vécu mon temps, je ne vais pas finir mon chant. Je vais les abreuver, Mon couplet l’achever, Un instant je resterai encore au bord... Nous arrivons à temps: chez le bon Dieu on vient toujours quand il faut. Qu’ont donc les anges à chanter d’une voix si traîtresse? N’est-ce pas plutôt le grelot qui s’étrangle en un sanglot, Est-ce moi qui crie aux chevaux de ne pas m’emporter à toute vitesse?! Un peu plus doucement, mes chevaux, un peu plus doux! N’écoutez pas la cravache qui fouaille en sifflant. On m’a fourgué des chevaux bien fous... Je n’ai pas vécu mon temps, puissé-je au moins finir mon chant. Je vais les abreuver, Mon couplet l’achever, Un instant je resterai encore au bord...
© Léon Robel. Traduction, 1988