J’vous vends pas des salades, ce n’est pas la saison J’voyais pas une parade, mais mon exécution. D’où me vient ce destin, ce triste itinéraire? Je ne sais que trop bien, mais j’ai promis d’me taire. Mon commandant a failli me sauver, mais Mon crime n’est pas de ceux qui se rachètent Le peloton obéit sans traîner Mais y’en a un qui n’a pas pressé la gâchette Mon sort est tout tordu, d’ennui en anicroche: J’ai la langue bien pendue mais je n’ai pas de poche! Et notre commissaire, - un zélé communiste - M’a mis dans ses affaires, m’a inscrit sur sa liste. Puis il dévoila les faits fracassants Dans des chemises reliées et des pochettes Tout le monde y était impuissant Sauf le p’tit gars qui n’a pas pressé la gâchette. La main tombe dans le vide, un «Feu!» déchire l’air: Cette salve sera mon guide vers l’aut’ côté d’la terre. Mais j’entends «Il respire, soignez-moi cette enflure! On fusille pas deux fois, même quand y’a une bavure.» Et le docteur n’en croyait pas ses yeux Il retirait les balles, secouant la tête. Et moi en douce, dans mon délire fiévreux, J’parlais au gars qui n’a pas pressé la gâchette. Je soignais mes blessures, les léchant comme un chien Malgré ça populaire chez le genre féminin De tous les hôpitaux où j’étais d’aventure «Hé, viens, l’inachevé, c’est l’heure de la piqure» Notre bataillon écrasait les Prusses Et j’envoyais mon glucose en Crimée Pour que la guerre soit un p’tit peu plus douce Pour qui? Bah celui qui n’a pas tiré Buvant de la soucoupe mon thé parfois corsé J’ai pu rejoindre nos troupes, vu que j’n’ai pas clamcé. Mon commandant me dit «Prends ton fusil mon gars Et cette bavure mon p’tit, Je crois que j’m’en plains pas» J’me plaindrais pas non plus, mais en sanglots Comme une baleine, je mugis dans le pré. Un allemand a achevé l’boulot En tuant celui qui n’a pas tiré.
© Lëshat. Traduction, 2010