Où’ç’que j’étais hier? Pas moyen d’me rappeler... J’me souviens juste qu’y’avait des papiers peints... Puis aussi Claudia, puis une copine à elle et... Qu’dans la cuisine, j’leur roulais des patins... Mais on m’annonce au matin, Que la veille, sans raison, J’traitais tous de putains Même la maîtresse de maison Que je chantais très mal, Que je courais à poil, En hurlant «Mon père est un général!» Puis j’frappais ma poitrine, la chemise en lambeaux, En criant que c’est un guet-apens! Et toute la soirée, j’pompais l’air aux convives Les harcelant avec mes accords de truand... Puis j’ai fini de boire, J’me suis senti un peu mal, J’ai brisé un miroir, Et tout le noble cristal, Versé le vin sur les murs, Et l’service à café J’l’ai jeté aux ordures Avec le buffet... Et personne n’osait dire ne serait-ce qu’un mot, Puis, doucement, ils ont repris leurs esprits, Ils m’ont eu par le nombre, lié les mains dans le dos Et ensuite, tout le monde a bien ri... Certains crachaient au visage D’autres abreuvaient de vodka Et une espèce de danseur Me cognait dans l’estomac Mais une jeune veuve A eu pitié de moi Tout en restant fidèle (Car on ne vit qu’une fois) J’ai croupi dans la cuisine, écorché et blafard, En feignant: «Je comprends! Je regrette! Allez, détachez-moi, et fin de l’histoire!...» Ils m’ont détaché... mais planqué les fourchettes. Ç’qui s’est passé alors Ça ne se décrit pas D’où m’est venue cette force? Cette puissance dans les bras? J’ai ravagé la maison, Comme une bête aux abois Et fait tomber le balcon Quatre étages plus bas. Où’ç’que j’étais hier? Je retrouverai jamais! J’me souviens juste des papiers peints sur les murs... Il ne reste que le visage, salement écorché Mais où aller, quand t’es couvert d’écorchures? Si tout ça c’est vrai... En partie, même un tiers... Il ne reste plus qu’une chose: S’enfouir six pieds sous terre! Heureusement que la veuve N’a pas gardé de séquelle, A eu pitié de moi, Et maintenant j’vis chez elle!
© Lëshat. Traduction, 2011