Chauffe-moi l’étuve à blanc. Du monde je suis déshabitué. Je serai asphyxié et, dément, La vapeur brûlante me fera parler. Patronne, chauffe-moi l’étuve à mort, Je deviendrai brûlant, je m’enflammerai. Sur le banc d’étuve, tout au bord, De mon cœur les doutes j’extirperai. Jusqu’à l’inconvenance de chaleur je serai accablé, Avec une puisette d’eau froide, tout ça passera. Et le tatouage de l’époque du culte de la personnalité Sur mon sein gauche bleuira. Chauffe-moi l’étuve à blanc, Du monde je suis déshabitué. Je serai asphyxié et, dément, La vapeur brûlante me fera parler. Que de croyances et de forêts ont été sciées! Que de chagrins et de chantiers ai-je connus! Sur mon sein gauche le profil de Staline est tracé, Et, sur le droit, Marinka de face se présente nue. Eh, pour ma foi immodérée Combien d’années me suis-je reposé au paradis! Contre une vie sans joie j’ai troqué Ma bêtise inouïe. Chauffe-moi l’étuve à blanc, Au monde je veux me réhabituer. Je serai asphyxié et, dément, La vapeur brûlante me fera parler. Je me rappelle qu’au petit matin J’ai eu juste le temps de crier à mon frère: - Viens m’aider! Et deux jolis gardiens De Sibérie en Sibérie m’ont emmené. Puis dans la carrière ou dans la tourbière où nous travaillions, Ayant ingurgité notre soûl de larmes et d’alcool dénaturé, Tout près de nos cœurs son profil nous piquions Pour qu’il entendît nos cœurs se déchirer! Ne me chauffe pas l’étuve à blanc, Du monde je suis déshabitué. Je serai asphyxié et, dément, La vapeur brûlante me fera parler. Oh, j’ai la fièvre! Mon histoire doit vous donner la nausée! De mon esprit la vapeur a chassé les pensées. J’étais dans le brouillard froid du passé, Dans un brouillard brûlant je me trouve plongé. Des pensées me martèlent le cerveau, Il en ressort que pour rien à Son sceau je suis marqué! Et je cingle avec le balai de bouleau Ce souvenir des sombres années. Chauffe-moi l’étuve à blanc, Du monde je suis déshabitué. Je serai asphyxié et, dément, La vapeur brûlante me fera parler.
© Hélène Ravaisse. Traduction, 1980