Le hurlement des moteurs n’était que silence Je me retrouvai solitaire avec ma honte J’hésitai devant la trappe béante Et j’oubliai de boucler ma carabine. D’un coup de genou l’instructeur m’a aidé À franchir la frontière de ma faiblesse Et j’ai pris ses insultes endormies Pour l’habituel "Hardi mon gars." Et le vent venu du sol D’un coup de rasoir glacé A brisé mon cri Et brøle mes joues. Et des flots aériens Joyeux et insouciants Ont, en un souffle, refoulé Le tonnerre dans mon ventre. Je suis tombé dans leurs mains habiles et tenaces Elles me pétrissent et me ballottent à leur gré, Et, le sourire aux lèvres, j’effectue sans effort Une sarabande de tours inouïs en série. Je saurai plus tard peut-être s’il existe Une quelconque raison dans cette chute L’horizon terrestre me bondit au visage Puis les nuages se ruent vers la terre. Et le vent venu du sol D’un coup de rasoir glacé Brisait mon cri Et rasait mes joues. Et des flots aériens Joyeux et insouciants Ont, en un souffle, refoulé Le tonnerre dans mon ventre. J’ai arraché l’anneau d’un seul souffle Comme une chemise au collet ou une goupille, Mais j’avais avant volé par erreur Dix-huit longues secondes de chute libre. Maintenant je suis laid, avec ma double bosse Et dans chaque bosse un fil salvateur; Tendu vers mon but j’en suis amoureux, Amoureux du saut de l’ange obligé. Et des flots venus du sol D’un coup de rasoir glacé Brisent mon cri Et rasent mes joues. Et des flots aériens Joyeux et insouciants Ont en un souffle refoulé Le tonnerre dans mon ventre.
Je vole! Triangles, losanges, carrés Jouent dans les rivières, les lacs, les prés, Seul l’air maudit au service du parachute Épaissit et durcit, en véritable ennemi. Et l’ambulance déjà attend mon atterrissage Crachant vers la terre dans mon désespoir, Je toucherai le sol plus vite que l’avion Moi, l’auteur du saut de l’ange. Des vents me râclent D’un coup de rasoir glacé Brisent mon cri, Brølent mes joues, Et sac sur les épaules Et les mains au corps Je rencontre des flots aériens Échevelés et insouciants.
Saut inoui des profondeurs de la stratosphère! Au signal: "Go!" j’ai bondi dans l’infini, À l’ombre invisible d’une chimère sans visage Pour une descente enfin, libre! Aïda! Je traverse les ténèbres ouatées de l’air, Mon saut m’emmène au hasard des impératifs, Puisqu’on ne peut descendre en liberté Dans notre monde ignorant du vide. Et la marée montante D’un coup de rasoir glacé Brise mon cri Et rase mes joues. Des bøchers me brølent comme des bougies J’atterris en état de choc Dans des flots aériens Droits et impeccables Le vent suinte à mes oreilles et chuchote inconvenant: "Ne tire pas sur l’anneau, tu seras bientôt léger." Trois cents mètres avant la terre! Trop tard! Le vent trompeur, le vent trompeur me ment. Les bretelles m’arrachent au ciel, la voøte m’attire, Stop! Ces minutes semblent s’être effacées, Il n’y a pas de chute libre du haut ciel, Il n’y a que la liberté d’ouvrir son parachute. Les flots gorgés Des soucis de l’homme Me refroidissent les joues Et m’ouvrent les paupières. Je fixe mélancolique le ciel Et ses étoiles solitaires, Et je bois les flots Aériens horizontaux.
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989