Une aube rose et joyeuse se levait, Un vaisseau voguait vers l’aventure, Et le mousse faisait son premier voyage Sous le drapeau noir des flibustiers. Penché sur l’eau, ses voiles sifflant dans le vent, Le brick à deux mâts se coucha en virant de bord Et le mousse sentit son coeur chavirer de bonheur Comme les haubans de chanvre sur la grand voile. Cachant son âme tendre sous sa tenue grossière Le skipper sévère lui donna un bon conseil: "Sois un gentleman si tu as de la veine Car sans veine il n’est pas de gentlemen." Et le brick voguait vers le but fixé, Faisant en chemin les rencontres de son destin, Brisant les os aux avirons des caravelles, Lorsqu’il lançait son équipage à l’abordage. Un jour où se partageait un splendide butin, Les pirates se déchaínèrent en hurlant, Le mousse, furieux de voir sa part rognée, Devint blême et se saisit d’un poignard. La fille se tenait debout sans se cocher ni pleurer, Le mousse se rappela le conseil du skipper "Sois un gentleman si tu as de la veine, Car sans veine il n’est pas de gentlemen!" II s’aperçut que le capitaine, resté muet, Ne tentait cas d’arrêter la ripaille, Ne regardait pas les blessures sanglantes, Et donnait en retour coup sur coup. Elle crut un instant le mousse perdu; Comme elle ne voulait que lui et nul autre, Elle se pencha par-dessus bord, et l’eau Engloutit son corps de lumière et d’or. Le mousse, devant les pirates pantois, Se décharaea son pistolet brølant dans le coeur! Il était le dernier gentleman de la veine, Mais les gentlemen disparaissent avec elle!
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989