La tempête se déchaíne tout le soir, Et pendant qu’en lambeaux d’écume volent Les coutures déchirées du sable, Je regarde penché sur le spectacle La crête des vagues se briser. Je compatis aux défunts Un peu et de loin. J’entends un râle, un gémissement de mort Et la fureur de ne pas en avoir réchappé. Ce serait le bouquet! Prendre un tel élan, Rassembler ses forces, enfoncer la grille Et se briser la tête à l’orée du but! Je compatis aux défunts Un peu et de loin.
Ah les crinières blanches du destin Qui semblent embellir au seuil de la mort, À l’appel de la trompette guerrière Les vagues se cabrent dans leur envol, Et brisent leurs cous ployés. Et nous compatissons aux défunts Un peu et de loin.
Le vent de nouveau bat les crêtes Ébouriffant les crinières d’écume. Mais la vague, victime d’un croche-pied, N’emportera pas au loin la barrière Et le cheval en nage s’écroulera. Et les autres compatiront À son agonie de loin. Et mon tour à moi, mon tour viendra, Un souffle sur mon cou me pousse vers l’abíme, Le pressentiment envahit mon âme en délire; Je sens que je vais me briser l’échiné, Je sens que je vais me rompre la tête. Ils compatiront sur ma mort Un peu et de loin. Ainsi au cours des siècles bien des hommes Restent assis sur le rivage et observent Avec attention et vigilance les autres Près d’eux, sur des pierres, occupés A briser les crêtes et les têtes. Ils compatissent aux défunts Un peu et de loin.
Mais dans les fonds ténébreux de l’océan Dans les profondeurs secrètes où rôdent Les cachalots, naítra et se gonflera Une vague unique et gigantesque Qui déferlera sur le rivage Et engloutira les spectateurs. Et je compatirai aux défunts Un peu et de loin!
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989