Mon voisin d’à côté fait bombance, Son invité est un gros bonnet, Et la patronne frétillante, Court au cellier. La clé grince dans le pêne, On monte plats sur plats, Et le poêle tire au poil, Par l’ouverture! Chez moi au contraire, tout marche à l’envers, Mon jardin ne donne rien, ou bien le bétail crève Ou le poêle qui tire mal enfume la maisonnée, Et j’ai la gueule toute de travers. Mon voisin, lui, s’en met plein la poire; Le village entend craquer leurs mâchoires, Et leur fille fiancée pleine de boutons, Est mørie à point. Chez eux c’est visite prénuptuale, Avec des montagnes de beignets, Et même le fiancé tout maigrelet Chante et danse. Chez moi les chiens enchaínés se déchaínent, Ils aboient dans la nuit puis se mettent à hurler, Les durillons de mes pieds sont tout percés, A piétiner le sol de ma chambre déserte. Ça descend sec chez le voisin! Qui ne boirait quand ça coule à flots, Qui ne chanterait quand on est bien Et que ça ne coøte rien? Ici ma bonne femme est en gésine, Ici les oies piaillent de famine, Et je m’en fiche de ces oies Puisque rien ne va! Chez moi des farfadets se baladent, Je les chasse à tour de bras, et les revoilà! J’ai un furoncle en un endroit déplacé, Il est temps de labourer et je suis coincé. Mon voisin a envoyé son gamin, Par générosité il m’a invité, Evidemment j’ai refusé, Mais il a insisté. Il a mis un litron à gauche, Il a mis de l’eau dans son vin, J’ai accepté, picolé et piaillé, Ça n’a rien arrangé. Au beau milieu de celte débauche J’ai bavassé à l’oreille du fiancé, Il a bondi comme un vrai possédé, La fiancée là-haut éclate en sanglots. Le voisin gueule: "Le peuple, c’est moi! Et j’observe la loi fondamentale", Donc "qui ne travaille pas ne boit pas" Et il vide son godet! Tous les invités d’un coup se sont levés, Mais le gamin met son grain de sel: "Erreur, mon papa: Qui ne travaille pas Ne mange pas!" Et moi je restai planté avec mon billet graissé, Pour chasser demain ma gueule de bois, Tenant mon accordéon serre dans mes bras Puisque c’est pour lui qu’on m’a invité. Mon voisin vide un second litre, Dodeline du chef et m’engueule: Chante un coup, tu n’as pas bu Pour des prunes! Deux malabars baraqués Me prennent à la ceinture, "Tu joues et tu chantes, enfoiré, Ou on t’arrange le portrait!" C’est le sommet de la fête! On serre en douce la fiancée de près, Et je chante les jours de flon-flon: "Du temps que j’étais postillon!" Ils ont servi la soupe de poissons Avec des abattis en gelée, Puis ils ont chopé le fiancé Et lui ont filé une râclée. Puis ils ont danse dans l’isba, Se sont battus sans animosité, Puis chacun a écrase ce qu’il avait De bien en soi. Moi, je gémissais comme un butor dans un coin, Effondré, puis j’ai mis les mains sur les hanches, En me demandant: mais avec qui boirai-je demain Parmi mes compagnons de ce dimanche? Le matin là-bas le calme règne toujours Une mie de pain coincée dans la joue, Et ça se saoøile sans gueule de bois Et ça bouffe! Personne n’aboie dans un coup de colère Le chien traíne dans la petite entrée, Et le poêle est fait de carreaux bleutés Avec son ouverture. Or chez moi même par temps clair Mon âme brølante languit dans la nuit, Je bois à longs traits l’eau du puits Je nettoie mon accordéon et ma femme vitupère.
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989