Comme un lézard la langueur rampe dans mes os, Mon cœur n’est plus en froid avec ma tête nette, La quatrième vitesse ne me coupe pas le souffle Et les virages ne me glacent plus le sang. L’étreinte de l’amour ne serre pas ma gorge Et tu peux déchirer mes nerfs qui se détendent, Mes nerfs qui pendent comme des cordes à linge; Et, lui ou moi, peu m’importe qui l’emporte. De mon cheval, sous l’assaut, je saute d’un bond, Et je ne suis riche que de négations. L’eau froide des sources ne glace pas mes dents, Je ne presse ni les événements ni les hommes, Mon arc à la corde pourrie traîne à terre, Et j’entretiens le feu de mes flèches brisées. Je ne suis ni tendu ni raidi vers mon but, L’attaque elle-même ne me donne plus d’aile, Je hais les casse-cou et je veux les mater, Je méprise aussi gribouilles et têtes folles. De mon cheval, sous l’assaut, je saute d’un bond, Et je ne suis riche que de négations. Je ne veux pas expliquer, je ne veux pas trahir, Je ne veux pas nouer, ni défaire les nœuds, On peut éviter de plier les angles obtus, Faux angles à la suite des angles aigus. Aucune tendresse ne souffle en moi la vie, N’inspire et n’efface aucune illusion. Ma cervelle, étrangère à tout ce fatras, Échappe aux coups de bottes et aux pressentiments. De mon cheval, sous l’assaut, je saute d’un bond, Et je ne suis riche que de négations. Blessures et cicatrices ne me brûlent plus, Sous la couche épaisse de pansements stériles Nulle pensée, nulle question, aucun rêve Ne m’agitent, ne me tourmentent, ne me rongent. Qu’importe que ma ceinture soit lâche ou tendue, Je ne suis pas mûr pour une balle en plein front. Je suis transparent comme une fenêtre ouverte, Je suis imperceptible comme un drap de lin. De mon cheval, sous l’assaut, je saute d’un bond, Et je ne suis riche que de négations. Je ne cherche plus la pierre philosophale, Ni la racine de vie, après le ginseng, Je ne poursuis rien, je ne lutte et ne frémis plus, Et je ne tente pas de trouer ma cible. Je Suis las d’affronter l’attraction terrestre Je gis sur le sol, plus loin encore de la corde, Et mon cœur jaillit de moi et bat la chamade, En avant vers le pays où règne la tribu des non. De mon cheval, sous l’assaut, je saute d’un bond, Et je ne suis riche que de négations.
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989