Je longe le ravin, je rase le bord du précipice, J’éperonne mes chevaux, je les cingle de mon fouet, L’air me manque, je bois le vent, j’avale le brouillard, Je me perds et me noie dans l’extase de la mort. Un peu moins vite, mes chevaux, un peu moins vite. Vous refusez d’écouter le sifflement de ma cravache Les chevaux de mon destin obéissent à leur caprice, Je n’ai pas le temps de vivre et d’achever ma tâche. J’abreuverai mes chevaux, J’achèverai mon refrain, Je resterai un instant encore sur le bord... Je vais mourir, l’ouragan me fauchera comme un épi, A l’aube un traîneau me halera dans la neige. Chevaux, je vous prie, ralentissez un peu le pas, Étirez mon dernier voyage jusqu’à mon dernier abri. Un peu moins vite, mes chevaux, un peu moins vite! Vous n’écoutez ni le fouet ni la cravache. Les chevaux de mon destin obéissent à leur caprice. Je n’ai pas le temps de vivre et d’achever ma tâche. J’abreuverai mes chevaux, J’achèverai mon refrain, Je resterai un instant encore sur le bord. Comme tout invité de Dieu, nous arriverons sans retard. Pourquoi les anges chantent-ils une colère aussi noire? La clochette ne pleure-t-elle plus qu’un long sanglot? Je hurle à mes chevaux de ne pas m’emporter au galop. Un peu moins vite, mes chevaux, un peu moins vite! Je vous en supplie, ralentissez votre vol... Les chevaux de mon destin obéissent à leur caprice. Je n’ai pas le temps de vivre et d’achever ma tâche. J’abreuverai mes chevaux, J’achèverai mon refrain, Je resterai un instant encore sur le bord.
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989