Je t’aime dans l’instant, Sans secret, aux yeux de tous. A chaque instant je brûle à tes rayons Dans les sanglots ou les rires, Mais je t’aime dans l’instant. Au passé je ne peux pas, Au futur je ne sais pas. A l’imparfait? Je t’aimais? Temps plus triste qu’une tombe, Toute ma tendresse, entravée, perd ses ailes Même si le poète des poètes a proclamé Je vous aimais et mon amour, peut-être, durera. On parle ainsi des fleurs fanées et jetées, Avec la compassion et la condescendance Réservées aux rois chassés de leur trône, Avec une pitié profonde pour le temps passé, Où s’est noyée toute mon impétuosité, Où «je t’aime» ne suscite qu’incrédulité. Je t’aime maintenant Sans te promettre de me croire. Mon siècle est là! Je ne me trancherai pas les veines A temps, dans l’instant, maintenant, Je ne respire pas dans le passé, Je ne délire pas dans le futur. Coupez-moi la tête! Je viendrai pourtant Vers toi à travers gués et tourbillons, Les pieds chargés de chaînes et de boulets. Mais ne te trompe pas et ne me demande pas D’ajouter à «je t’aime» «je t’aimerai»! Ce «je t’aimerai» exhale une étrange amertume, Une odeur de contrefait et de bois vermoulu, Il sent la brèche pour la planque et la retraite, Il sent le poison incolore tapi au fond du verre, Il sent le doute de mon amour dans l’instant, Comme une gifle à la face du présent! Je regarde un rêve français Et l’abondance de ses temps Où le futur est varié Et le passé différent. Je suis cloué au pilori Et cité à la barre linguistique! Ah! La variété des langues N’est pas un état, c’est un krach, Mais à nous deux nous chercherons l’issue, Et à nous deux nous la trouverons, Car je t’aime aux temps composés Au futur et au présent passé!
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989