Lorsque l’eau du déluge universel Reflua dans le lit des rivières, L’Amour jaillit de l’écume Des flots, bondit sur le sol, Et s’évanouit dans l’air avant Le terme des quarante quarantaines. Les originaux, ces survivants, Respirent ce mélange à pleins poumons, N’attendent ni récompense ni châtiment, Ils tombent en mesure brusquement D’une respiration profondément inégale.   Le sentiment, comme un vaisseau, Doit languir le long de la rade Avant d’apprendre que «j’aime» Signifie «je respire» et «je vis». Nous deviendrons errants et vagabonds. Immense est le pays de la passion, Et l’amour impose à ses chevaliers Des épreuves chaque jour plus sévères, Il exige l’éloignement et la séparation, Il détruit la paix, le sommeil et le repos. Mais nul ne peut tourner les talons De ces égarés déjà prêts à payer Les prix les plus fous, à risquer leur vie Pour ne jamais laisser se rompre Le fil invisible et magique Qu’ils ont tendu de l’un à l’autre. Un vent frais enivra les Élus, Les renversa, ressuscités d’entre les morts, Car celui qui n’a jamais aimé, N’a jamais vécu ni respiré. Tes hurlements et tes cris n’atteindront Jamais ceux qu’en foule l’amour exalte, Discours et bavardage leur règlent Un compte que leur sang a souillé, Et nous planterons des cierges au chevet Des victimes d’un amour inouï. Leurs voix se mêlent en cadence, Leurs âmes vagabonderont par les fleurs, Respireront l’éternité en un souffle unique, Et se rencontreront, le sourire aux lèvres, Sur les ponts et les fragiles passerelles Carrefours étroits de l’univers. J’étendrai des prés aux amoureux Pour qu’ils chantent en rêve et en réel Je respire donc j’aime, J’aime donc je vis.
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989