Discuter jusqu’au râle, jusqu’au silence, jusqu’ Au dernier trait, jusqu’à la croix, tel est mon destin. Convaincre et puis démontrer l’écume aux lèvres, Qu’il y a confusion et que l’on se trompe enfin. Que les marchands mentent sur les fautes du Christ, Que la dalle n’est toujours pas scellée dans le sol. Trois cents ans sous les Tatares et tout recommence Trois cents ans de douleurs, trois cents ans de misère Sous le joug tatare vivait Ivan Kalita, Et seul contre cent, il n’était plus seul déjà, Puis vint Pougatchev, ses rêves et sa révolte Vaine, et toujours le sang et la misère encore. Peut-être ne comprend-on pas du premier coup Même devant l’image du sinistre bouffon. Sujet sans intérêt, thème sans portée, Vanité des vanités c’est toujours vanité! Je ne pourrai pas vider au vol mon calice, Même en le répandant sur le sol..., je ne puis! Ou le lancer au visage impudent de l’ennemi? Je ne minaude pas, je ne mens pas! Je ne puis! Sur le cercle lisse aux tourbillons qui glissent, Je garde l’équilibre, et plie sous la limonière. Que faire de ce calice? Le briser? Je ne puis! Je le supporterai, j’attendrai qui le mérite. Je le transmettrai, je romprai ce cercle infernal, Je confierai le calice à mon ami, je fuierai Dans les ténèbres et l’obscurité de la nuit, Et j’ignorerai s’il l’a vidé jusqu’au fond. Et j’irai tondre le champ avec les évadés, Sans dire mot de la coupe encore pleine, Silencieux, je la garderai entre mes bras Pour ne pas être piétiné au milieu du pré. Pour vous je me démène jusqu’à la nausée. Un jour peut-être un homme brûlera un cierge Pour mes nerfs mis à nu et leurs longs cris, Pour mon rire et pour mes plaisanteries. Même s’ils me promettent brocart et dorures, Même s’ils me menacent de leurs maléfices, Non, je ne jouerai pas sur un nerf alangui, Je le ravauderai, l’étirerai, le tendrai. Mieux vaut une virée, une balade, une rasade, Dissiper en fumée mon charabia de la nuit, Me dévisser la tête en chantant ma chanson, Que glisser grain de poussière au gré d’un rayon. Mais si mon destin veut que je vide le calice, Si la musique de mes chants n’est pas trop grossière, Et si, l’écume aux lèvres, mon argument s’achève, Je m’en irai en chantant: tout n’est pas vanité.
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989