Ils disent que je vais mourir, Mais toujours la mort nous attend, Et je voyagerai gratis S’ils me surinent en plein dos; On épargne les assassinés, Le requiem leur promet le paradis. Je ne parlerai pas des vivants, Nous protégerons les morts. Je roule mon visage dans la boue, Je me renverse sur le flanc, Et mon âme cogne à grands coups Sur le galop des rosses volées. Le tour est joué, je croquerai Des pommes aux fourrés du paradis, Je m’approcherai sans hâte Et l’apôtre butor soudain me ramènera. Loin de moi! Loin de moi! Exorcisme vaguement connu, C’est un désert stérile Et le néant total de l’infini, Au milieu de ce néant Se dressaient des portes de métal, Et le convoi héroïque, Cinq mille hommes à genoux. J’apaise d’un mot caressant Le hennissement du limonier, Mais j’arrache à peine la bardane Des tilles et tresse sa crinière. Pierre l’apôtre, le vieux, Se démène longtemps avec le verrou Et il geint, et il grogne, N’arrive à rien et s’en va. De cet interminable convoi Ne monte pas un gémissement, De leurs genoux engourdis Ils glissent soudain à croupetons. Les pattes des chiens rayent la neige; Étrange paradis, cette zone barbelée; Tout en un long cercle est rassemblé Sous les bras étendus du crucifié. Les hommes et les chevaux contemplent Ce camp modèle de tous les camps! L’odeur du pain s’échappe des portes, Et nous retient mieux que des menottes. Je suis encore sain et sauf, Je me saoule d’ozone. J’ai la bouche pleine de splendeurs, Et j’ai peine à proférer des injures. Deux ombres vêtues de vert Volent, manches retroussées; Des clochards passent en voltigeant Et braillent. «Frappe sur le rail!» C’est la belle vie, mes frères, Le son des clochettes nous accueille. Non, c’est l’écho des clés qui sonnent, Et le cliquètement des lourds trousseaux. J’ai crevé dans l’arrière-cour, Entre les mains débiles des vieillards. Loin du fils de Dieu dans les bras De la Madone, simple serf collé au mur. Dans les merveilleux jardins du paradis S’entassent les pommes gelées, Mais les gardes veillent et tirent Et font mouche en plein front. Les chérubins voltigent autour de moi, Un ange sur un mirador bafouille. Ma punition ne vient pas du Christ! Et j’arrache aux branches les fruits gelés. Le coup de feu me ravit, Je galope à nouveau vers la terre Et j’y apporte les pommes Réchauffées sur mon sein. Je vais mourir une seconde fois; S’il le faut, nous périrons encore; Dieu soit remercié pour ce succès, Vous m’avez troué le ventre d’une balle. C’est la règle éternelle par le monde, On promet le paradis aux fusillés, Aux fusillés on promet la terre, Aide-toi, le Ciel t’aidera! Je roule mon visage dans la boue, Je me renverse après le coup de feu, Les chevaux réclament leur avoine, Mais il est temps de prendre le mors. Le long du ravin, le fouet à la main, Au-dessus de l’abîme, serrées sur mon sein, Je t’apporte les pommes venues du paradis A toi qui jamais n’a cessé de m’attendre.
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989