J’ai là mon oeuvre, une vie trépidante, frénétique, Comme suis venu, je suis parti. Avec moi, je n’ai rien emporté Et il est arrivé à son heure, ce terme fatidique. D’autres choses m’appellent loin derrière les collines bleutées. Dans les ouvrages, on en apprend des sommes. Mais les vérités se transmettent par ouï-dire. Nul n’est prophète en son pays, en somme, Et, dans les autres, ce n’est ni meilleur, ni pire... J’ai été dépouillé, mais je suis heureux que la part du lion Revienne à ceux auxquels je l’aurais de toute façon donnée. Sur le parquet ciré, je m’enduis de colophane les talons. Je dois monter l’escalier, prendre la direction du grenier Nul n’est prophète, tu auras beau les chercher Ils sont loin, Mahomet et Zarathoustra. Nul n’est prophète en son pays, c’est vrai Et dans les autres, non plus, on ne l’est pas. Je les entends dire en bas, allez savoir, bonté, méchanceté? «C’est bien qu’il soit parti. Sans lui, les choses sont plus claires». À l’angle de l’icône, de la main, je balaie une toile d’araignée, Je me hâte car, déjà, on selle les chevaux dans la cour, derrière. L’icône s’anime. Je m’arrête, surpris, J’entends le saint me dire, à haute voix, tristement «Nul n’est prophète vois-tu, en son pays Et dans les autres, il n’en est pas tellement...» Je bondis sur la selle, me confonds au cheval, identique. J’ai pris le morts aux dents, je ne fais qu’un avec lui désormais. J’ai quitté ce que je faisais, une vie trépidante, frénétique. D’autres choses m’appellent loin derrière les collines bleutées. Sous les sabots crissent les épis de blé Er je les entends murmurer à l’unisson «Nul n’est prophète en son pays, c’est vrai Et dans les antres, ils ne sont pas légion». Je n’ai pas vendu les amis et j’en ai même sauvé un du malheur. Un seul en a pâti. Plus tard, on mettra nos comptes à jour, J’ai quitté ce qui je faisais, je n’ai laissé ni sang rouge, ni sueur, Et c’est sans moi que la vie a continué son cours. Nul n’est irremplaçable, alors, chantons L’office des morts aux gisants, qu’on n’en parle plus. Nul n’est prophète en son pays, allons, Et dans les autres, ils ne sont pas nombreux non plus...
© Michel & Robert Bedin. Traduction, 2003