Pas encore les giaces, ni le froid, Rouge est l’obier2, et chaude est la terre. Mais un homme gît en terre, là-bas, À Novodevitchi, au cimetière. Il dêvait ignorer la sentence Que la plèbe oisive aime égrener «Celui qui la veut de son plein gré, La Mort l’attrapera de préférence». Si tel est le cas, ne va pas si vite, Makarytch, détends-toi, doucement, Écris encore, encore médite, Joue encore, et reste bien vivant! En forçant même les hommes à pleurer, Il reçut une balle dans le ventre. Chien fidèle, il est allé s’étendre Près d un buisson aux feuilles tendres, Cn obier rouge, si rouge était l’obier... Les plus méritants, la Mort les voit, Un à un, elle les choisit. Notre frère est parti pour la nuit. Il ne s’en seta pas remis. Il ne s’agite pas, ne s’ennuie pas.       Il y aurait «Razine» cette année! Quel décor, Narotch3, Onéga? Les «culs et chemises»4, fîni tout ça! Ton copain ne sera pas né!         Juste une hésitation éphémère, Le Sort susurra tout à coup «À cet Asiate, ôtons le tabou, Car il a vu au fond du trou Les messes et les repas funéraires! Cette grande âme au corps attachée, La bosse chargée d’un poids de surhomme, Pour lui éviter le fatum, Il faut tout chaud au lit l’attraper!» Après le bain, inéluctablement, Devant Dieu, sobre, immaculé, Pour de bon, il a trépassé Et plus sûrement que sur l’écran. Et nous, portant sa dépouille en terre En hurlant, laissâmes notre ami là, À l’ombre des bouleaux du cimetière, Faire bamboche hors du temps, de la terre... À côté poussait un lilas, Un lilas d’automne. Nu comme un ver...
1 Vassili Choukchine, écrivain sibérien. 2 L’obier rouge, titre de l’oeuvre la plus connue de Vassili Choukchine. 3 Le lac Narotch se trouve en Biélorussie. 4 Traduit l’expression populaire sibérienne «pechki-lavotchki» (petits poêles, petits bancs) qui signifie qu’ils ont des relations amicales très fortes. C’est le titre en russe et en français d’un film de Choukchine.
 
© Michel & Robert Bedin. Traduction, 2003